Wednesday, November 15, 2006

Au détour du chemin...

Il fait chaud dans la rame de métro. Je ne veux pas enlever mon blouson, il y a si peu de stations à passer, ça n'en vaut pas la peine.
Je descendrai quelques arrêts avant le mien, je marcherai et me fondrai dans la ville déjà enrobée de ténèbres; adoucie par les nombreuses lumières, les néons.
Le métro ralenti. Les portes s'ouvrent. Je suis arrêté dans ma lecture. Il entre. Je sens sa présence, il dégage une aura. L'air change. Je lève la tête.

Il n'est pas grand, mais je capte tout de suite ses yeux sombres, son regard ténébreux, si profond. Je suis hypnotisé. J'abandonne mon livre. Sylvia Kristel me passionne, elle devient une star au détour de 1974... Sylvia Kristel peut attendre.

Il croise mon regard. Le temps s'arrête. L'intensité s'installe. Il me scrute, il donne l'impression de lire en moi tant son regard est profond. La tension est trop forte, je baisse les yeux, et fais mine de me replonger dans mon livre. Mais les courbes, les angles obtus et les points formés par les lettres dansent devant mes yeux sans pour autant pénétrer mon esprit...

Discrètement, sans bouger la tête, je lève les yeux. Il est de profil. Je l'examine. Il a les cheveux parfaitement coiffés malgré cette fin de journée. Ses sourcils, très bas, lui donnent un air grave, sérieux. Ce qui le rend encore plus attirant. Il a le regard fixe, un rien perdu. Il a un beau nez, aquilin; ses lèvres sont masculines, ni trop fines, ni trop épaisses. Je descends, son coup est élégant. Ses vêtements sont propres, droits, classieux. Il porte le costume à merveille et son duffle-coat marine adoucit la droiture de sa tenue. Il est petit; ce qui n'affecte pas son charme. Au contraire. Les hommes grands ont souvent une assurance naturelle que leur confère leur taille démesurée. Il n'a pas besoin d'être grand pour prouver son assurance. Elle se dégage de lui, naturellement, simplement.

Je cherche sa main du regard. Je veux attraper son annulaire, savoir ce que cachait ce regard posé sur moi. Je ne le vois pas, il est dissimulé par l'écharpe qu'il tient, qu'il a élégamment enlevé de son cou.

Je ne pourrais pas chercher ce doigt longtemps. Il se tourne, happe mon regard. Un fois de plus, les autres s'évanouissent. Une bulle se forme, mais ma gêne prend le dessus. Je prétends retourner à Sylvia. Je bénis mon visage de ne pas rougir dans les situations d'embarras. Même si je sens bien que le sang afflux dans tous mes vaisseaux faciaux.

Son regard me déshabille. Il me scrute. Et lui, que voit-il?

Je me sens tellement étranger à moi-même. Je voudrais disparaître, fondre dans la masse. Mais je suis exposé, sans barrière, sans aucune sécurité. Rien ne nous sépare, tout semble nous attirer.

Je relève les yeux. A lui de les baisser. Embarrassé à mon tour, je me replonge dans mon livre mais mes yeux sont arrêtés sur sa main. Sur son annulaire désormais dénudé brille la bague tant redoutée.
Elle est là.
Elle ne ressemble pas à une alliance. Je préfère croire que c'en est une.

Il a l'air noble. Je crois apercevoir un trait de tristesse au coin de son oeil. Ca ne le rend que plus attendrissant.

Les stations défilent. Je ne lirai pas une ligne de mon livre. Trop gêné, l'esprit ailleurs, qui déambule. Les regards se feront fuyants. Plus qu'une station et c'est la mienne.
Peut-être devrais-je rester.
Peut-être...

Et pour quoi faire? Prolonger le rêve de deux arrêts de métro, pour, de toutes façons, remonter à la surface, retrouver ma réalité. Non, je dois descendre ici. Rien ne fera basculer mon équilibre. Rien ne peut se passer. Alors je range mon livre. Du coin de l'oeil, il le voit, se rend compte.

Arrive la station. Je dois passer devant lui pour sortir. Je baisse les yeux. Comme si j'avais fait une bêtise. Je crois même me voûter alors que je fais, ces dernier temps, tous les efforts du monde pour garder ma droiture.

M'a-t-il suivi des yeux?
Je ne le saurai jamais. Je descends. Je relève la tête, les épaules et je m'engouffre dans ce couloir qui me ramène à la réalité. Pourtant mon esprit est ailleurs. Les mots afflux, glissent. J'essaie de les retenir. Ils sont là, en file, attendent leur tour. Je ne veux pas les laisser passer. Pas tant que je ne peux les coucher sur mon écran. Les taper sur ce clavier. Je risque de les perdre.
Je compose alors que je marche, rapidement, au travers de la nuit; au travers de la ville.
Les mots s'emmêlent, l'histoire se romance. Je ne différencie plus le rêve de la réalité.
Quels regards ont existé, lequel suis-je en train de fantasmer?
Mes pas se pressent, les mots coulent, comme je me saigne. Je les perds.
Je n'en garde qu'une histoire brute. Sorte de mélange entre mon imagination et mon souvenir.

J'atteins ma rue. Cette rue que j'aime depuis bien avant d'y habiter.
Je presse le pas, prépare mes clés. J'aperçois le restaurant, et ma porte juste à côté.

Je vois quelqu'un s'y engouffrer. Je me presse pour retenir la porte.
Raté.

Je mets la clé, pénètre à mon tour dans le couloir illuminé. Je lève les yeux et aperçois la silhouette qui venait de se faufiler.
Elle me semble familière...

C'est Lui.

Il n'est pas descendu deux stations avant.
Nous avons atteint notre immeuble en même temps.
Le même immeuble. Il prendra l'ascenseur, je grimperais les escaliers. Assez lentement pour découvrir à quel étage il habite.

Drôle de coïncidence.
Drôle de retour à la réalité.

Situation singulière et cocasse.

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